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Billet de blog 26 avril 2021

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Le putsch: une valeur actuelle

J'ai longtemps cru que l'armée française - « républicaine » - ne pouvait plus être putchiste. Je me trompais : la tribune accordée par Valeurs actuelles à un aréopage de ganaches excédées montre que la pulsion du coup d'État est là.  Les facteurs s'assemblent pour nous préparer des lendemains qui déchantent.

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Illustration 1
putsch d'Alger

Aveu de courte vue.

Faisant partie de cette génération qui a fait son service militaire, j'y avais vu - de manière, somme toute rassurante - un corps d'officiers plutôt légalistes et "républicains". Quelques "fanas mili" bien sûr, St Cyriens, de famille St Cyrienne, coiffés avec la coupe St Cyr, sans doute lecteurs de "Safari-Signe de piste" dans leur jeune temps, mais au final, plutôt pas de fachos.

Mais c'était il y a longtemps, à la fin des années 80. Farouchement antimilitariste pourtant, j'en avais conclu que "l'officier à la française", contrairement au corps des sous-offs largement imprégné de racisme et déjà séduit par l'extrême-droite à l'époque, était conservateur, de droite, souvent catho classique, mais rarement fascisant et pas putschiste.

Cette perception était peut être juste à l'époque. Force est de constater qu'elle ne l'est plus du tout.

Pourtant, de la fascination hypnotique et toute française pour l'armée de Napoléon, aventurier deux fois putschiste, au rôle infâme dans le massacre des Communards, jusqu'au putsch d'Alger que certains régiments incriminés à l'époque, réhabilités ou réintégrés depuis à d'autres formations voient comme une fierté (paras en tête et quelques régiments de la légion étrangère, commandos de l'armée de l'air), bref, de cette constance dans la tentation de peser sur la vie politique française, comment ne pas demeurer vigilant ? Des restes de naïveté sans doute.

La professionnalisation de l'armée a sa part peut-être dans l'autonomisation idéologique de l'institution, dans son éloignement d'une doctrine "républicaine". Mais surtout l'endroit de l'armée est évidemment propice à la mystique des armes, à celle de la violence - caractéristique de l'extrême droite - à une mythologie americanisée, mais aussi assez traditionnelle, de l'armée comme rempart au chaos.

Le chaos étant ici l'allogène, les « hordes de banlieue » comme le dit avec une bonne dose d'hystérie, l'auteur de cet appel au putsch. Le chaos étant encore la dissolution des mœurs, la pluralité, le divers, l'affolement devant le brouillage des limites entre masculin et féminin, et revendiquant une sexualité lisible, entérinée autant par les textes fondateurs d'une « civilisation chrétienne », que par la simple imposition par le mâle dont la force fait loi.

Je m'étais donc trompé en demeurant sur cette idée, perception d'une armée française légaliste.

Voici donc que des généraux (d'active pour beaucoup) se fendent d'un billet dans la revue d'extrême-droite Valeurs actuelles. Billet, tribune, « appel aux gouvernants », aux accents vibrants d'un autre siècle, qu'on pourrait imaginer sous la plume d'un Brasillach, d'un Péguy deuxième époque : honneur, Patrie, délitement, courage, dangers...

Les dangers ?

Ils sont tout intérieur, à la fois au territoire et sa gouvernance : un « laxisme » à l'encontre de ces éléments de la population insuffisamment encadrés par une juste force - des arabes faut bien le dire, et musulmans de surcroît, de jeunes branlottins « de banlieue » aussi. Ils sont intérieurs, comme le Ministère du même nom, dont les forces ne sont au final que des victimes d'une politique qui n'est pas assez inflexible.

Les dangers, puisqu'il est question de délitement, sont aussi intérieurs d'une intériorité pour ainsi dire "spirituelle". Car la Patrie c'est ce truc charnel dont héritent les gens conscients (militaires et flics généralement) d'une lignée qui remonte au premier roi à s'être converti au christianisme, le très franc Clovis, et qui encourage aujourd'hui encore à convoquer l'avis d'un Cardinal pour renforcer l'urgence (Mgr Mercier Primat de ... Belgique).

Une première partie de cette lettre « empreinte de conviction et d'engagement » selon Valeurs Actuelles, déplore, dénonce et se tient navrée devant l'ampleur du délitement moral et sécuritaire du pays. Délitement qui tient tout entier à trois facteurs : 

- à une insuffisante vigueur répressive contre l'islamisme d'une part qui aurait gagné tous les territoires où vivent des gens, comment dire... d'origine... comment dire... ? 

- au bordel des mœurs en général incarné par des blackblocs, contournant la Police désemparée, infiltrant la juste colère des Gilets jaunes, enfin, de ceux qui étaient vraiment d'extrême-droite au début du mouvement ...

- à une Anti-France, dont les agents défaitistes, capitulards, véritable cinquième colonne anti-patriotique car antiraciste, désespère le pays et encourage une guerre civile. Etre antiraciste, c'est être anti-français. On l’avait compris et le texte le dit avec à peu près autant de maladresse. Être antiraciste c'est être inconscient du fait que les populations racialisées en France, de fait, conspirent à notre perte. Dans les années 1930 il n'y avait que les juifs. aujourd'hui il faut y ajouter les Maliens, les Algériens et les Sénégalais. ça va pas être facile le nettoyage ethnique.

C'est ici que se forme une deuxième partie de la lettre. Poursuivant le fil de la « guerre civile », les signataires font glisser « le risque » dans la « menace » de devoir y recourir... pour la prévenir... :

Sous l'analyse par les auteurs militaires, il est formée en fait une menace en creux : « à travers ces termes c’est la guerre raciale que veulent ces partisans haineux et fanatiques ». Les termes : racialisme, indigénisme, théories décoloniales. Le texte fait semblant de comprendre que les "partisans" de ces termes les proposent comme un recours : il faut être racialiste, indigéniste... et ainsi entraîner la chute de la belle composition de notre beau pays - fraternité, etc.

La lecture juste de ce propos est évidemment toute autre : pour des milites en charge de garder les limes (les marches de l'Empire) de l'effondrement, racisme et indigénisme actif, colonialisme sont des instruments de l'impérialisme, et leur dénonciation est un crime. Ainsi, les antiracistes ne seront pas responsables d'une guerre civile, mais les gouvernants qui ne les écraseront pas se verront débordés sur leur droite par nous, militaires contraints de prendre nos responsabilités et de "faire" la guerre civile... pour rétablir l'ordre.

« ...assez d’atermoiements, l’heure est grave, le travail est colossal ; ne perdez pas de temps et sachez que nous sommes disposés à soutenir les politiques qui prendront en considération la sauvegarde de la nation. Par contre, si rien n’est entrepris... »

Toujours est-il que les facteurs s'assemblent pour nous préparer des lendemains qui déchantent.

Cette deuxième partie de la lettre exige donc une reprise en main virile du pouvoir sur l'ordre moral - plutôt chrétien tout de même - et les hordes de banlieue. Elle n'est qu'une brique de plus à l'assemblage nécessaire d'un pouvoir fascisant en France. Nécessaire : pour le capitalisme pour qui le recours au fascisme est toujours la solution à la crise quand elle devient ingérable. Et surtout, la forme capitaliste récente ne se conçoit plus sans un appareil répressif et de surveillance absolu. Ce que la Grande-Bretagne initia il y a déjà 20 ans et qui est en passe d'équiper toute la pensée stratégique du domaine économico-politique, manquait encore d'être parachevé en France. D'où la militarisation de la police à marches forcées et de nouveaux crédits pour l'Armée.

Les autres briques sont déjà en place.

Il y avait la contamination fascisante, populiste, visible comme une gangrène sur une carte de l'Europe (Italie, Autriche, Pologne, Grèce, Hongrie, Grande-Bretagne de Johnson...) ; l'impunité pour les actions militantes de l'extrême droite, y compris les plus violentes, les plus racistes ; l'hystérie sécuritaire et une politique raciste et assassine à l'encontre des migrants, étayée par un discours raciste, décomplexé, et de plus en plus large en prime time ; un confusionnisme criminel et brutal de la part de Macron, digne héritier de 40 ans d'un jeu avec le feu qui se croit très malin, mais qui objectivement prépare le terrain à un régime d'extrême-droite en France.

Après tout, de tous les pays d'Europe il nous manquait d'être entièrement Thatcherisé, de finaliser notre libéralisation, et Macron s'y emploie avec la violence et le mépris nécessaires. Il n'est que normal que l'étape suivante pour soutenir ce régime économique s'accomplisse avec la mise en place d'une politique fasciste en France, irriguée par le racisme d’État (déjà en place) une police bénéficiant de la suspension de toute considération de droit (déjà en place), des lois criminalisant la contestation, et la destruction de l'innervation de notre société via la destruction de son secteur public.

L'encadrement par l'armée de la montée fasciste n’est que la dernière brique - encore une fois nécessaire - de cette dynamique. Une propagande sous la forme d'une campagne d'affichage depuis 2 ans, vante le rôle civilisateur en outre-mer, structurant pour les jeunes françaises et français (moralité et destin, aventure et métier ), éducatif et répressif contre l'agitation citoyenne (tas de bolchéviques) ...

Il ne manque plus finalement que d'installer le siège de la police rue Lauriston, et que le chef de l'état-major prenne ses quartiers à l'hôtel Meurice.

C'est beau un pays qui s'éveille au nazisme

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