Les coulisses des révélations et notre sélection
La lettre enquête
samedi 14 mai 2022
Partager FacebookTwitterWhatsapp
Cette lettre vous a été transférée par un·e ami·e ? Vous pouvez vous inscrire directement en cliquant ici 
COULISSES.
Emission sur PPDA : ce qui s’est passé derrière les caméras

Par Michaël Hajdenberg, coresponsable du pôle Enquête.
enquete@mediapart.fr
Cela paraît simple quand on regarde la photo. Vingt femmes assises côte à côte, venues raconter devant une caméra ce qu’elles disent avoir vécu il y a 10, 20 ou 30 ans, de la part de Patrick Poivre d’Arvor. C’est pourtant exceptionnel.

Il faut tant de force, de courage, de maîtrise de soi pour témoigner qu’il est souvent difficile de convaincre ne serait-ce qu’une seule personne de s’exposer de la sorte dans les affaires de violences sexuelles. Mais alors vingt…
 Image COULISSES.
La dynamique s’est pourtant inversée cette semaine. C’est parce qu’elles étaient 20 qu’elles ont pu le faire. Parce qu’elles étaient toutes-là, aucune n’a lâché. « D’habitude, il y a souvent un mari qui dit «  non, tu vas avoir des problèmes professionnels  », des parents qui craignent que leur patronyme soit sali, ou toute autre raison qui peut faire renoncer. Là, le collectif les a poussées à aller jusqu’au bout, par solidarité », analyse Marine Turchi, qui a enquêté sur cette affaire, et participé à l’émission aux côtés de Mathieu Magnaudeix et Valentine Oberti.

L’idée de cette émission est née après l’annonce faite par PPDA qu’il allait porter plainte contre 16 d’entre elles pour «  dénonciation calomnieuse ». Valentine Oberti et Mathieu Magnaudeix ont envie de monter un plateau avec deux ou trois de ces femmes, mais la crainte est de faire redite. Or un des aspects exceptionnels de cette histoire est le nombre de femmes incroyablement élevé qui se disent victimes. Marine Turchi se dit qu’il faut toutes les inviter. « J’appelle Hélène Devynck, qui, il y a un moins d’un an, a contacté toutes les femmes ayant témoigné dans cette affaire devant la police, pour les intégrer au petit collectif créé par quelques unes. Elle est partante, mais elle me répond : «  Vous n’y arriverez jamais  ». Ca m’a surmotivée pour y arriver. J’appelle trois autres figures tutélaires du groupe, dont Muriel Réus, qui acceptent. Ça a enclenché une dynamique. »

Convaincre ces femmes une par une n’est cependant pas simple  : « Chez certaines, il y avait la peur de parler, relate Mathieu Magnaudeix. Certaines parce qu’elles n’avaient pas fait de télé, voulaient connaître le cadre précis, se posaient la question du montage de l’émission. D’autres ne voulaient pas être vues à vie comme des victimes. Ne pas raconter à nouveau les faits était une demande de beaucoup d’entre elles. Finalement, certaines ont fini par le faire, d’elles-mêmes, et alors qu’on ne s’y attendait pas forcément. A l’inverse, la détermination d’autres était frappante. Au téléphone, Marie Laure Eude-Delattre m’a dit : «  Je suis prête, ça fait 35 ans que j’attends ça  » ».

Prête, mais pas pour autant à l’abri des émotions. Pendant les 2h30 d’émission on la voit tenir la main de ses voisines, qu’elle ne connaissait pas la veille. Il faut dire que l’émission, tournée dans les conditions du direct, a connu un démarrage difficile. « On a commencé à tourner, mais l’émotion a gagné plusieurs femmes dès la première minute, on a dû arrêter et recommencer, rapporte Marine Turchi. Puis à la deuxième prise, on a eu une épidémie d’envies de pipi. Sûrement le stress.»

«
 Moi-même quand elles se sont présentées, j’ai eu du mal à contenir mon émotion. J’ai fait de la télé pendant des années, ça ne m’était jamais arrivé », explique Valentine Oberti, qui a cependant toujours eu en tête pendant l’émission d’ « être prudente dans les formulations des questions. Oui on a de l’empathie. Mais on doit rester à distance. »

Parmi les vingt femmes, l’émotion est présente, mais ne déborde pas ; l’effet de groupe soude et rassure. « Jusque-là, c’étaient toujours les mêmes femmes qui s’exprimaient publiquement, celles qui avaient travaillé dans les médias, analyse Marine Turchi. Cela pouvait créer des incompréhensions et des frustrations. Et puis ces femmes n’avaient pas toutes la même stratégie : certaines voulaient aller chez Hanouna, d’autres pas.Politiquement, elles ont aussi des opinions très différentes, certaines d’ailleurs n’adhèrent pas forcément à la ligne éditoriale de Mediapart. Mais cette fois, elles sont allées au-delà de tout ça, peut-être aussi parce qu’elles ont toutes été mises sur un pied d’égalité : la serveuse de bar, la journaliste, la vendeuse dans un magasin de sport. Dans l’affaire Luc Besson, les femmes qui ont témoigné ne se connaissaient pas. Elles n’ont pas pu s’entraider. Dans l’affaire Ramadan, les victimes entretiennent des relations houleuses : c’est très compliqué. Parfois, c’est terrible à dire, mais des victimes de violences sexuelles ne veulent pas s’afficher à côté d’autres victimes dont elles estiment le récit plus fragile ou moins fort que le leur. » Pas cette fois. « Il y a eu un effet fédérateur, égalitaire, une dynamique collective. Pendant qu’on diffusait les paroles de PPDA ou son avocat, certaines huaient, faisaient Bouuuuuuhhhhh.»

Avant l’émission, les vingt femmes ont été informées des thématiques qui seraient abordées, pas des questions précises. Les journalistes de Mediapart les ont par ailleurs prévenues  : la version des faits de PPDA serait donnée à chaque fois. Par respect du contradictoire, et « parce que ça reste évidemment du journalisme », comme l’explique Marine Turchi, qui répercute ses doutes : « Quand on fait des articles sur les violences sexuelles, on pèse chaque mot, on réécrit dix fois chaque formule, on a de nombreux échanges avec nos avocats, pour éviter tout risque de condamnation en diffamation. Et là, on allait ouvrir les micros pendant plus de deux heures, sans rien maîtriser de ce qu’allaient pouvoir dire ces femmes, c’était journalistiquement très éloigné de nos pratiques. »

Les journalistes de Mediapart en parlent avec le directeur de publication, Edwy Plenel, qui se montre très clair  : « On ne fait pas une enquête en direct, on est dans une émission d’interviews, de témoignages et on n’est donc pas là pour contrôler la parole. On assumera. » Très peu de choses seront ainsi coupées à la fin de l’émission : quelques extrapolations, ainsi que des considérations sur la vie familiale de PPDA.

Les doutes ont disparu : le mari d’une des plaignantes, qui était réticent à l’idée que sa femme parle, à ce qu’elle donne son nom de famille, était si fier à la fin de l’émission qu’il a accroché dans leur salon la photo de groupe faite par Sebastien Calvet.

Mathieu Magnaudeix relate  : « Elles sont reparties ensemble, éprouvées mais avec le sentiment d’avoir vécu quelque chose de rare, de colère, de solidarité, d’amitié.» A vingt et pas en vain.
Toutes nos anciennes coulisses sont à retrouver en cliquant ici

VOR LA VIDÉO (EN ACCÈS LIBRE)

Vingt femmes ayant accusé l'ancien présentateur star de TF1 PPDA de violences sexuelles et de comportements problématiques témoignent sur notre plateau.

Sur le même sujet, lire aussi :
Par

NOS AUTRES ENQUÊTES

Deux députées de la majorité comparaissent ce mardi 10 mai à la suite de plaintes de collaborateurs. Leurs noms s'ajoutent à la liste particulièrement fournie établie pour l'occasion par Mediapart. Sans que ni les partis ni les institutions ne trouvent à redire au fait que ceux qui votent la loi la profanent allègrement.

L'ENTRETIEN DE LA SEMAINE

Quelques jours après l'entrée en vigueur du nouveau Code pénitentiaire, Dominique Simonnot revient sur cette avancée qui n'efface pas les énormes difficultés du quotidien carcéral : surpopulation chronique et indignité des conditions de détention.

EN VIDÉO CETTE SEMAINE

Lors de sa cérémonie d'investiture, Emmanuel Macron a chaleureusement salué toutes celles et ceux qu'il a nommés, promus et maintenus, qu'ils soient mis en cause, mis en examen, condamnés en première instance ou définitivement. Car il y a toujours une bonne raison de ne pas tenir compte de l'éthique et de la justice. Démonstration en vidéo.

JUSTICE

La députée de Seine-Maritime Sira Sylla a été une nouvelle fois jugée aux prud'hommes pour répondre de faits de harcèlement sur un collaborateur, qui devait notamment garder son chien et lui acheter cigarettes et champagne. L'élue n'était pas présente à l'audience, étant en campagne pour sa réélection, avec le soutien de la majorité.

LA REVUE DESSINÉE

Marine Le Pen n'hésite pas à changer d'idée, de programme, et à se contredire. Face à la menace de voir l'extrême droite arriver au pouvoir, Mediapart et « La Revue dessinée » ont décidé, exceptionnellement, de permettre la lecture de quelques pages de l'album « Aux portes du palais », tirées du chapitre « D'incompétences en incohérences », et c'est à lire ici.
Il est aussi possible de commander notre BD, en cliquant sur notre boutique.

Il y a 10 ans dans mediapart

Il y a dix ans, Mediapart révélait la retranscription du premier échange téléphonique entre Mouammar Kadhafi et Nicolas Sarkozy, le 28 mai 2007. Ce document, issu des archives libyennes, prouve que le président français, à peine élu, a offert sa collaboration sans condition avec le régime libyen, dans les domaines du nucléaire et de l'armement.

Informez-nous

C’est peut-être vous qui nourrirez une des prochaines Newsletter Enquête de Mediapart en nous communiquant une information sur laquelle nous enquêterons.
Pour ce faire, écrivez-vous à enquete@mediapart.fr
15 jours pour 1€ seulement
Choisissez l'indépendance
Nos investigations, vidéos et analyses ne sont possibles que grâce aux contributions de nos abonné·es. Soutenez le premier quotidien en ligne 100% indépendant !
Je teste pour 1€
Se désabonner