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Billet de blog 27 mars 2024

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Dans les coulisses du terrorisme afghan

Captif des services de renseignements talibans, j'ai partagé les sombres vérités sur le recrutement terroriste en Afghanistan depuis la cellule C11, où nous étions onze entassés dans un espace exigu.

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Illustration 1
Image de propagande de l’État islamique au Khorasan (EI-K)

En mars 2023, mon emprisonnement dans les geôles des services de renseignements talibans m'a plongé dans l'obscurité lugubre d'un univers où les secrets les plus sombres se tapissent derrière chaque porte. Dans la cellule C11, nous sommes onze âmes entassées dans un espace exigu de deux à trois mètres carrés. J'ai pris la décision de briser le silence, décidé à partager les vérités terrifiantes que j'ai découvertes sur le processus de recrutement terroriste en Afghanistan.

La province de Takhar, entre autres, se distingue par son conservatisme religieux et son sous-développement, une combinaison propice à l'infiltration terroriste. Abdulmalik, un combattant de 48 ans de l'État islamique au Khorassan (EI-K), m'a éclairé sur la situation : « Dans ces régions reculées, les talibans exercent moins de contrôle », offrant ainsi à des groupes tels que Daesh au Khorassan l'opportunité de s'entraîner et de planifier des attaques en toute impunité.

Moi-même Hazara, une minorité chiite longtemps persécutée en Afghanistan, étaient la cible des talibans et de l'État islamique au Khorassan. J'avais gardé le silence sur ma véritable identité, laissant croire à tous que j'étais un Ouzbek du nord de l'Afghanistan, en particulier à Abdulmalik, mon compagnon de cellule. Il ne fermait jamais l'œil, plongé dans la lecture incessante du Coran.

« J'ai choisi de rester à Takhar pour la facilité avec laquelle nous pouvons franchir les frontières vers le Tadjikistan pour soutenir nos proches. C'est ainsi que nous parvenons à transférer de l'argent et à aider ces villageois », a confié un autre membre de l'État islamique, refusant de divulguer son nom. D'après Abdulmalik, ils sont trois dans notre cellule.

Les montagnes du nord de l'Afghanistan, en particulier les régions de Takhar, Konduz, Balkh, Badakhshan et Nangarhar, abritent des villages oubliés, où les talibans ne s'aventurent guère, laissant ainsi la voie libre aux groupes terroristes pour semer la terreur. Les habitants, abandonnés et marginalisés, se tournent souvent vers ces groupes pour obtenir soutien et protection, une réalité que j'ai moi-même constatée.

« C'est dans les contrées reculées et hostiles de Badakhshan que nos forces trouvent refuge. Le climat impitoyable et les conditions rudes dissuadent les talibans de surveiller de près ces régions isolées. Nous entretenons des liens directs avec les talibans. Ils nous croient lorsque nous prétendons ouvrir des écoles coraniques, ce qui est vrai, mais nous ne divulguons pas tous nos desseins », a expliqué un troisième compagnon de cellule et ancien membre de EI-K. Cette situation crée un vide que les groupes terroristes exploitent habilement.

Le groupe EI au Khorassan, dans ses manœuvres insidieuses, débute son infiltration en ouvrant des écoles coraniques dans les régions reculées de l'Afghanistan. Cette stratégie subtile leur permet non seulement d'endoctriner les jeunes esprits mais aussi d'établir un semblant de crédibilité et de légitimité auprès des habitants. Dans l'obscurité, Abdulmalik murmure à mes oreilles « Nous fournissons des denrées de première nécessité telles que de la farine et de l'huile aux villageois » 

Ils renforcent davantage leur emprise sur les communautés locales. Cette tactique délibérée vise à gagner la confiance des populations en répondant à leurs besoins immédiats, tout en tissant habilement les premiers fils d'une toile complexe de dépendance et d'allégeance.

Leur approche de voyager en petits groupes, parfois même en famille, pour éviter de susciter l'attention publique, souligne leur adaptabilité et leur ruse dans leur quête de domination. Cette discrétion calculée leur permet de se fondre dans le tissu social des régions où ils opèrent, échappant ainsi à la vigilance des autorités et des forces de sécurité talibanes. Leur capacité à se camoufler parmi les civils ordinaires confère à leur entreprise terroriste une dimension insidieuse et difficile à détecter pour les forces locales.

Cependant, derrière cette façade d'altruisme apparent se cache une réalité bien plus sombre et sinistre. En offrant une aide humanitaire sous prétexte de charité islamique, EI-K cherche en réalité à se positionner comme un acteur bienveillant, tout en consolidant sa présence dans ces régions vulnérables. Leur objectif ultime est de saper les fondements de la société locale, de semer la division et de créer un environnement propice à l'essor de leur idéologie radicale.

De plus, cette approche de dispersion en petits groupes, parfois en famille, témoigne de leur stratégie de survie et de résilience face aux efforts de démantèlement des forces de sécurité. En se fondant dans la masse des civils, ils réduisent les risques d'être identifiés et traqués, tout en maintenant leur réseau opérationnel intact. Cette tactique démontre leur adaptabilité et leur capacité à s'adapter aux pressions extérieures, ce qui les rend d'autant plus redoutables pour les autorités locales et internationales.

« Nous sommes fiers de notre Jihad, nos amis ont tué des dizaines d'Américains. Nous suivons leurs chemins. » Ces mots lourds de sens sont confiés avec une gravité palpable par Abdulmalik, avant qu'il ne retombe dans un silence chargé d'émotion. Ces propos mentionnent l'attentat qui a frappé l'extérieur de l'aéroport de Kaboul le 26 août 2021, laissant derrière lui un bilan tragique : plus de 170 personnes ont perdu la vie, dont 13 soldats américains.

Dans cette atmosphère de douleur et de désolation, les paroles d'Abdulmalik résonnent comme un sombre témoignage de l'idéologie dévastatrice qui sous-tend ces actes de terreur. Elles soulignent la détermination fanatique de ceux qui adhèrent à cette vision déformée du Jihad, prêts à sacrifier des vies innocentes au nom d'une cause pervertie. Pourtant, derrière ces paroles se cache une réalité bien plus complexe : celle de personnes manipulées et endoctrinées, exploitées par des groupes extrémistes pour servir leurs desseins meurtriers. 

Quelques jours plus tard, lorsque Abdulmalik a découvert ma nationalité française et mon appartenance ethnique hazara, tous les trois ont tenté de m'étrangler dans leurs rangs. Alertées par mes cris, les forces talibanes sont intervenues et ont séparé les cellules. Cette expérience personnelle m'a permis de saisir l'étendue de leur stratégie de recrutement, qui cible des individus de diverses nationalités, tadjiks, ouzbeks et afghans, pour mener à bien leurs sinistres desseins. 

Plus préoccupant encore est le lien étroit entre les talibans et Al-Qaïda, une alliance qui constitue une menace directe pour la sécurité de l'Occident. En fournissant armes, passeports et logements aux commandants d'Al-Qaïda en Afghanistan, les talibans facilitent les opérations conjointes, représentant ainsi une menace mortelle pour le monde entier.

Enfermé pendant presque dix mois dans ces prisons, j'ai été témoin de la cruauté de leur régime et de la manière dont ils exploitent les régions reculées, telles que Takhar, pour recruter de nouveaux membres.