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Billet de blog 30 octobre 2021

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La comédie des sondages, la tragédie des médias

Jamais l'inflation de sondages n'aura été aussi « déformante », jamais les chaînes d'info continue n'auront autant fait le lit d'un candidat « non-déclaré » qu'elles avaient déjà, il est vrai, couvé en leur sein... Vue avec un léger décalage - voisin mais étranger- la précampagne présidentielle ressemble à un cauchemar mais qui serait déjà intégré dans les esprits...

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Illustration 1
Arnaud Figueroa, Haut le masque, mine de plomb et fusain, 2020

Quand le temps aura passé et que les observateurs de la chose publique (« les professionnels de la profession » comme disait Godard) auront repris leurs esprits, ils se pencheront peut-être avec stupéfaction et angoisse (rétrospective) sur le déroulement de la précampagne électorale des présidentielles de 2022.

À moins qu’ils n’aient plus désormais qu’à solder les comptes lugubres de ce qu’elle aura produit.

La France a toujours été une République sondagière, préférant plus que toute autre nation les (très légers) frissons à bon compte que lui procurent les innombrables enquêtes d’opinion, d’intentions de vote et de popularité. Mais aujourd’hui elles sont encore plus omniprésentes, jamais aussi parcellaires et biaisées, sondant sur la moindre prise de position d’un candidat non déclaré, lui attribuant quasi quotidiennement de potentiels lauriers électoraux et orientant de fait la totalité du débat électoral sur ses propos et ses positionnements.

Parfois une réaction de simple bon sens intervient. Ainsi face à l’hypertrophie des sondages le quotidien Ouest-France a décidé de n’en réaliser aucun sur la campagne présidentielle.

Son rédacteur en chef, François-Xavier Lefranc, s’en expliquait ainsi : « On a tout vu ces derniers temps, des sondages mis à toutes les sauces, des personnalités politiques cherchant désespérément une légitimité dans les pourcentages des dernières études d’opinion, des sondages faisant ou défaisant le deuxième tour de l’élection présidentielle, des cadors du petit écran gonflés à l’hélium des mesures d’audience devenir des stars politiques déjà qualifiées par les sondages avant même d’être candidats. (…) Le temps passé à commenter les sondages détourne les personnalités politiques et les médias de l’essentiel : la rencontre avec les citoyens, l’échange approfondi, le débat d’idées, l’écoute de ce que vivent les gens au quotidien, de leurs inquiétudes, de leurs espoirs. L’obsession sondagière empêche les uns et les autres d’écouter la diversité du pays, de ses habitants, de ses territoires. Elle nous berce d’illusions et nous aveugle. Elle nous fait prendre des vessies pour des lanternes »[1].

Voilà qui est bien dit.

Les sondages ont, il est vrai, leurs partenaires privilégiés que sont les chaînes d’information continue qui, elles, sont désormais les véritables chefs d’orchestre de la partition présidentielle. CNews est évidemment à l’avant poste : après avoir couvé le Zemour « éditorialiste », elle assure le fonds de commerce du non-candidat.

Il faut dire qu’avec les émissions et les animateurs d’une telle chaîne, l’extrême droite n’a plus besoin de service de presse.

Les invités sont à l’unisson. C’est à celui – ou à celle — qui sera le plus à droite. La surenchère sur l’insécurité, l’Islam, l’immigration a encore de beaux jours devant elle. De temps en temps, sous les quolibets de l’animateur, une voix timidement progressiste ou simplement humaniste vient jouer les « idiots utiles » du pluralisme boloréen. Certes CNews est la caricature grimaçante du modèle, mais même si c’est avec quelques précautions d’usage, les autres chaînes du genre (BFM-TV ou LCI) ne délivrent pas un autre message.

Désormais ce sont elles qui fixent l’agenda et les thèmes de la campagne et ce sont ceux de l’extrême droite la plus offensive. Rares sont les médias — et les candidats — qui y résistent.

Cela fait plusieurs décennies que, sous le signe du marché, la télévision a entamé — et accompli — son entreprise de « spectacularisation » de la politique. Mais c’est sans doute la première fois dans l’histoire médiatique d’une démocratie européenne que le spectacle est désormais ainsi ouvertement assigné et assuré par l’extrême droite. Est-on vraiment conscient de ce que représente ce tournant dans une campagne présidentielle en France ?

[1] Ouest France, 23 octobre 3021

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